
Pourquoi la rééducation du système sérotoninergique peut être utile à l’aide au sevrage tabagique ?
CHRISTOPHE LANTERI ET JEAN-POL TASSIN
Neuroscience Paris Seine (NPS), INSERM U1130, CNRS UMR 8246 Université Pierre et Marie Curie (Paris VI)
Après avoir travaillé pendant plus de 35 ans et dirigé une équipe dans le laboratoire de Neuropharmacologie du Collège de France, le docteur Jean-Pol Tassin est maintenant Directeur de Recherches Emérite à l’Inserm au sein du Département de Neurosciences Paris Seine à l’université Pierre et Marie Curie. Il a notamment étudié l’implication des grands systèmes neuromodulateurs (dopamine, noradrénaline et sérotonine) dans l’addiction.
Depuis les années 80, et malgré des données expérimentales contradictoires, les théories neurobiologiques de l’addiction ont accordé un rôle central à la dopamine, et plus généralement au « circuit de la récompense ». Dès la fin des années 90, l’équipe du docteur Tassin a mis en évidence que le système dopaminergique n’intervenait sans doute que secondairement et que la noradrénaline et la sérotonine jouaient un rôle critique dans les processus addictifs (Darracq et al., 1998 ; Drouin et al., 2002 ; Auclair et al., 2004). En 2006, ils ont montré, par une approche pharmacologique, neurochimique, génétique et comportementale chez la souris de laboratoire, que les neurones noradrénergiques et sérotoninergiques se régulent mutuellement et que la prise répétée de drogue d’abus (amphétamines, cocaïne, morphine, alcool…) découple ces deux systèmes qui deviennent alors hyper-réactifs (Salomon et al., 2006 ; Lanteri et al., 2008). Cette découverte est à l’origine d’un nouveau concept de la pharmacodépendance qui propose que les
toxicomanes sont devenus hyper-sensibles aux stimuli sensoriels, et que la drogue, en recréant pharmacologiquement la situation qui a conduit à ce déséquilibre, permet de les soulager temporairement.
De façon intéressante, cette propriété semble spécifique des drogues d’abus et elle a été étendue à la nicotine quelques années plus tard, à condition que celle-ci soit associée à un inhibiteur de monoamines oxydases (Lanteri et al., 2009). En effet, l’équipe du docteur Tassin a également beaucoup étudié les effets du tabac sur le cerveau, en se basant sur les études qui montraient que les fumeurs présentaient des taux de monoamines oxydases très diminués. Ils ont notamment démontré que l’association d’un IMAO à la nicotine permettait d’induire facilement une auto-administration, c’est-à-dire de reproduire les effets récompensants du tabac chez l’animal de laboratoire (Villégier et al., 2006a) et que la sérotonine était le principal neuromédiateur impliqué dans ce processus (Villégier et al., 2006b).

Auclair A, Drouin C, Cotecchia S, Glowinski J, Tassin JP (2004) 5-HT2A and alpha1b-adrenergic receptors entirely mediate dopamine release, locomotor response and behavioural sensitization to opiates and psychostimulants. Eur J Neurosci. 20(11):3073-84.
Darracq L, Blanc G, Glowinski J, Tassin JP (1998) Importance of the noradrenaline-dopamine coupling in the locomotor activating effects of D-amphetamine. J Neurosci. 18(7):2729-39.
Drouin C, Darracq L, Trovero F, Blanc G, Glowinski J, Cotecchia S, Tassin JP (2002) Alpha1b-adrenergic receptors control locomotor and rewarding effects of psychostimulants and opiates. J Neurosci. 22(7):2873-84.
Lanteri C, Salomon L, Torrens Y, Glowinski J, Tassin JP (2008) Drugs of abuse specifi cally sensitize noradrenergic and serotonergic neurons via a nondopaminergic mechanism. Neuropsychopharmacology 33(7):1724-34.
Lanteri C, Hernández Vallejo SJ, Salomon L, Doucet EL, Godeheu G, Torrens Y, Houades V, Tassin JP (2009) Inhibition of monoamine oxidases desensitizes 5-HT1A autoreceptors and allows nicotine to induce a neurochemical and behavioral sensitization. J Neurosci 29(4):987-97.
Salomon L, Lanteri C, Glowinski J, Tassin JP (2006) Behavioral sensitization to amphetamine results from an uncoupling between noradrenergic and serotonergic neurons. Proc Natl Acad Sci U S A 103(19):7476-81.
Villégier AS, Salomon L, Granon S, Changeux JP, Belluzzi JD, Leslie FM, Tassin JP (2006a) Monoamine oxidase inhibitors allow locomotor and rewarding responses to nicotine. Neuro-psychopharmacology 31(8):1704-13. Epub 2005 Dec 14.
Villégier AS, Salomon L, Blanc G, Godeheu G, Glowinski J, Tassin JP (2006b) Irreversible blockade of monoamine oxidases reveals the critical role of 5-HT transmission in locomotor response induced by nicotine in mice. Eur J Neurosci. 24(5):1359-65. Epub 2006 Sep 8.

TRYPTOCALM®
Complément alimentaire
Propriétés des ingrédients :
Le L-Tryptophane est un acide aminé essentiel, précurseur de la sérotonine cérébrale.
Les vitamines B3 et B6 favorisent l’équilibre nerveux.
La vitamine B3 contribue à des fonctions psychologiques normales et notamment à entretenir la mémoire et la concentration.
La vitamine B6 intervient dans le métabolisme du Tryptophane.
1 comprimé contient :
500 mg de L-Tryptophane
16 mg de vitamine B3*
1,4 mg de vitamine B6*
*soit 100% des VNR
1 à 2 comprimés par jour.
– page 1 –
Effets du tabac sur le cerveau
Le rôle de la nicotine dans l’addiction au tabac remis en question…
Les études réalisées chez l’animal suggèrent que la nicotine n’est sans doute pas la seule substance à l’origine de l’addiction au tabac. Par exemple, la nicotine a relativement peu d’effets neurochimiques et comportementaux chez l’animal, en comparaison des autres drogues comme la cocaïne, la morphine ou l’alcool. Par ailleurs, les substituts nicotiniques sont relativement peu efficaces dans l’aide au sevrage tabagique chez l’Homme (84% d’échec dans l’année qui suit le sevrage). Une étude clinique récente menée pendant 6 ans sur 787 fumeurs vient d’ailleurs de confirmer que les substituts nicotiniques n’apportaient pas de bénéfice significatif par rapport à un placébo (1).
La fumée de tabac contient des inhibiteurs de monoamines oxydases (IMAOS)
En fait, la combustion d’une cigarette génère plusieurs milliers de composés. Certains sont toxiques pour le système cardio-pulmonaire (monoxyde de carbone) ou irritants pour les voies respiratoires (cyanure d’hydrogène, ammoniac, phénols…), d’autres ont des propriétés neurotoxiques (butane, méthanol…), cancérogènes (chlorure de vinyle, arsenic, formaldéhyde…) ou vasodilatatrices (monoxyde d’azote). Enfin, certains de ces composés sont des inhibiteurs de monoamines oxydases (IMAO) : c’est le cas de l’harmane et de la norharmane, qu’on trouve à raison de 10 à 20 µg/g dans la fumée de tabac, et de
l’acétaldéhyde (1,4 mg/cigarette) qui résulte de la combustion du sucre, le principal agent de saveur de la cigarette. Les monoamines oxydases sont les enzymes qui dégradent la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine, les trois principaux neuromodulateurs du Système Nerveux Central (Voir ci-dessous). Leur inhibition par le tabac entraîne une élévation de la concentration synaptique de ces trois neuromodulateurs, et notamment de la sérotonine, ce qui renforce leur action sur leurs cibles spécifiques et induit un certain nombre d’effets psychotropes.
L’activité des monoamines oxydases est très diminuée chez les fumeurs chroniques
On sait depuis le milieu des années 90 que les fumeurs présentent une baisse importante de l’activité des deux isoformes de monoamines oxydases dans le cerveau, les plaquettes et la plupart des tissus périphériques (coeur, foie, poumon…). L’exposition chronique à la fumée de tabac diminue en effet de 28% l’activité de la MAO A (2) et de 40% celle de la MAO B (3) dans le cerveau. Ce phénomène, indépendant de la nicotine, est probablement à l’origine des propriétés antidépressives et anxiolytiques de la cigarette.
Récemment, l’équipe du Dr Tassin a montré, chez l’animal, que l’association de nicotine et d’un IMAO permettait d’induire les mêmes effets neurochimiques et comportementaux que ceux observés avec les principales drogues (cocaïne, morphine, alcool…) (4). En élevant les taux extracellulaires de sérotonine cérébrale, les IMAOs du tabac désensibilisent les autorécepteurs à la sérotonine de type 5-HT1A. Or, ces autorécepteurs jouent physiologiquement le rôle d’un frein et permettent normalement aux neurones sérotoninergiques d’ajuster leur réponse en fonction du contexte et de maintenir ainsi l’équilibre thymique de l’individu. Lorsque ces récepteurs sont désensibilisés, les neurones sérotoninergiques deviennent vulnérables et l’exposition chronique de nicotine les rend hyper-réactifs à tous les stimuli environnementaux.
De façon intéressante, il semble que ni la nicotine, ni les IMAOs n’aient de propriétés addictives propres mais que ces deux psychotropes agissent de façon synergique sur le cerveau. Ces travaux mettent en évidence le rôle critique du système sérotoninergique dans le développement de la dépendance au tabac et expliquent également l’inefficacité des substituts nicotiniques puisque ceux-ci ne stimulent pas la production de sérotonine.
L’addiction au tabac est une pathologie chronique qui se caractérise notamment par un taux de rechute important. D’après l’OMS, le tabagisme tue chaque année près de 6 millions de personnes, principalement en favorisant le développement de pathologies respiratoires (cancer du poumon, bronchopneumopathie chronique) et de maladies cardiovasculaires.
La nicotine fut le premier alcaloïde identifié dans la feuille de tabac Nicotiana tabacum et elle fut longtemps considérée comme la principale substance responsable de la dépendance à ce produit. Du fait de la grande surface d’échange de l’épithélium pulmonaire, la pénétration de la nicotine dans l’organisme est très rapide (elle atteint ses récepteurs cérébraux 7 secondes après l’inhalation de la fumée, et sa demi-vie plasmatique varie de 30 à 120 minutes).
La nicotine active un certain nombre de régions cérébrales comme la formation réticulée, une structure à l’interface entre le système nerveux autonome et les zones supérieures du cortex, ce qui stimule la vigilance et la concentration.
En activant les neurones dopaminergiques et noradrénergiques, deux groupes de neurones qui régulent le circuit de la récompense, la nicotine induit également un état de bien-être et de satiété (Tableau ci-contre).

– page 2 –
Conséquences du sevrage tabagiquesur le système sérotoninergique
Que ce passe t-il lorsque le fumeur est privé de tabac ?
Le sevrage tabagique est une étape critique dont le taux de réussite dépend de plusieurs facteurs individuels (âge de la première cigarette, fréquence de la consommation) et environnementaux (stress). Les symptômes du manque apparaissent dès les premières heures qui suivent le sevrage et peuvent persister plusieurs semaines.
D’un point de vue neurobiologique, le sevrage tabagique entraîne notamment un effondrement du taux cérébral de sérotonine consécutif à la désinhibition brutale des monoamines oxydases. Cette baisse de la transmission sérotoninergique a longtemps été négligée par les cliniciens mais il est pourtant fort probable qu’elle soit à l’origine de l’irritabilité, de l’augmentation du stress, de l’altération de l’humeur et de la mauvaise qualité du sommeil que
l’on observe généralement chez les fumeurs au cours des premières semaines d’abstinence. De façon intéressante, il existe une forte comorbidité entre l’addiction au tabac et les troubles dépressifs (près d’un fumeur sur quatre développe une dépression dans l’année qui suit le sevrage), sans que l’on puisse déterminer laquelle de ces deux pathologies est la cause de l’autre. La baisse de la sérotonine pourrait également être impliquée dans l’augmentation de l’appétit généralement associée à l’arrêt de la cigarette. Ce phénomène est transitoire car les taux de sérotonine se normalisent généralement quelques semaines après l’arrêt du tabac mais il est très probable qu’il participe activement à l’état de manque. Par ailleurs, les stratégies de substitution actuelles ne tiennent pas compte du déséquilibre sérotoninergique
central puisqu’elles sont uniquement basées sur un apport de nicotine. Or, si la nicotine peut effectivement soulager les symptômes du sevrage pendant les premiers jours, en améliorant notamment la concentration et en diminuant l’anxiété, elle ne peut plus satisfaire le fumeur lorsque l’activité des monoamines oxydases est rétablie. Peu à peu, le manque se fait alors sentir et la cigarette devient la seule façon de rééquilibrer les systèmes. L’augmentation des taux cérébraux de sérotonine pourrait donc avoir un effet positif significatif tant sur les symptômes du sevrage, notamment sur l’humeur dépressive, l’anxiété, la mauvaise qualité du sommeil et l’augmentation de l’appétit, que sur l’efficacité à long terme des substituts nicotiniques.

(1) Alpert HR, Connolly GN, Biener L (2012) A prospective cohort study challenging the effectiveness of population-based medical intervention for smoking cessation. Tob Control. [Epub ahead of print].
(2) Fowler JS, Volkow ND, Wang GJ, Pappas N, Logan J, Shea C, Alexoff D, MacGregor RR, Schlyer DJ, Zezulkova I, Wolf AP (1996) Brain monoamine oxidase A inhibition in cigarette smokers. Proc Natl Acad Sci U S A. 93(24):14065-9.
(3) Fowler JS, Volkow ND, Wang GJ, Pappas N, Logan J, Mac-Gregor R, Alexoff D, Shea C, Schlyer D, Wolf AP, Warner D, Zezulkova I, Cilento R (1996) Inhibition of monoamine oxidase B in the brains of smokers. Nature. 379(6567):733-6.
(4) Lanteri C, Hernández Vallejo SJ, Salomon L, Doucet EL, Godeheu G, Torrens Y, Houades V, Tassin JP (2009) Inhibition of monoamine oxidases desensitizes 5-HT1A autoreceptors and allows nicotine to induce a neurochemical and behavioral sensitization. J Neurosci. 29(4):987-97.

La sérotonine est un neuromodulateur essentiel au bon fonctionnement du cerveau. Elle est synthétisée dans les neurones sérotoninergiques par l’enzyme tryptophane hydroxylase (TPH), à partir du L-tryptophane, un acide aminé essentiel mais relativement rare qu’on trouve dans les produits laitiers, les légumineuses (haricot, pois, lentilles, arachide), l’avocat et la noix de coco.
Les neurones sérotoninergiques sont regroupés dans le tronc cérébral, au sein des noyaux du raphé, et ils innervent de nombreuses régions du cerveau dont le cortex, l’hippocampe, l’amygdale, le noyau accumbens, le thalamus et l’hypothalamus. De ce fait, la transmission sérotoninergique est impliquée dans de nombreuses fonctions comme le contrôle de l’humeur, la réponse au stress, le sommeil, le contrôle de la douleur ainsi que dans la régulation de la prise alimentaire. D’une manière générale, la baisse de sérotonine cérébrale se traduit par une détérioration de l’humeur, une augmentation du stress, de l’impulsivité ainsi que de l’agressivité. Réciproquement, les molécules qui élèvent les taux extracellulaires de sérotonine comme les inhibiteurs spécifiques de la recapture de sérotonine (ISRS) ou les IMAOs sont indiqués dans le traitement des épisodes dépressifs, des troubles anxieux et des comportements boulimiques. Depuis quelques années, des molécules stimulant la libération de sérotonine sont également utilisées pour traiter les douleurs chroniques, en alternative aux opiacés.

– page 3 –